Le cinéma, c’est un langage parmi tant d’autres. Et comme la littérature, il pose un regard sur le monde.

Avec Pauline Élion, professeure de français, Amandine Biget, documentaliste, Yasmine Di Noia, chargée de mission à la direction de la Culture, du Patrimoine, des Sports et des Loisirs, Cécile Ladjali, auteure, et Murielle Magella, scénariste et metteuse en scène.

Le lundi matin, les élèves savent bien maintenant que c’est un moment un peu spécial. Un temps qui se démarque du quotidien scolaire pour voyager dans le monde littéraire en compagnie de Cécile Ladjali qu’ils commencent à connaître, reconnaître. Et pourtant, c’est une nouvelle surprise qui les attend dans la salle de Pauline Élion, la professeure de français. Cécile est venue accompagnée par son amie Murielle Magellan, avec un sacré pedigree à son actif : dramaturge, scénariste et réalisatrice ! C’est d’ailleurs elle qui a mis en scène la pièce Fils de, de Cécile Ladjali, que les élèves iront sûrement voir en mars, et qui adaptera à l’écran son roman Illettré. Ce matin, c’est donc de cinéma dont elle va nous parler.

Mais elle commence d’abord par se présenter plus intimement, notamment parce que les questions de son identité, de ses origines sont aussi importantes pour elle qu’elles peuvent l’être pour Cécile, et parce qu’il leur paraît pertinent de montrer que si deux personnes viennent de cultures différentes, voire opposées, cela ne les empêche pas de travailler ensemble, et plus encore, de construire une réelle amitié. Car en effet, il y a des choses qui opposent Murielle et Cécile. Cécile est d’origine iranienne, un pays musulman, tandis que Murielle est d’origine juive algérienne. Elles rappellent toutes deux que cette amitié est loin d’être une évidence au vu des conflits actuels qui peuvent régner entre ces deux populations et insistent sur la beauté de ces relations qui vont par delà ces différences, par delà ces oppositions ou divergences.

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Murielle Magellan, ce n’est pas son vrai nom, c’est un pseudo.
‘Qu’est-ce qu’un pseudo ? Est-ce que quelqu’un sait ?
— C’est comme un surnom !
— Oui, c’est un peu ça. C’est un surnom qu’on utilise pour travailler.’
Son vrai nom, elle l’écrit d’abord au tableau :
Murielle DBJAY
Elle nous en raconte l’origine. Dbjay est dérivé de Béjaïa, une ville d’Algérie ayant connu durant l’Antiquité une forte arrivée de populations juives après la première diaspora qui suivit les persécutions des Romains envers les Juifs. Ils formèrent la communauté des Juifs berbères dont vient la famille de Murielle. Elle venait d’un milieu très populaire, c’est ses grands-parents qui ont poussé sa mère et son père à étudier et travailler, c’est aussi ce qui les a poussé plus tard, en 1962, à quitter l’Algérie pour s’installer en France en même temps que les colons français qui rentraient après que l’Algérie ait enfin reconquit son indépendance.

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‘Mon nom fait partie de mon histoire, quand j’écris, j’en suis chargée.’ Alors pourquoi le changer ?
‘J’ai changé mon nom à cause de sa difficulté à être déchiffré et prononcé.
— Mais pourquoi vous n’avez pas un prénom algérien ?’ s’étonne un élève qui vient lui aussi de Bejaïa, car si Magellan n’est pas son vrai nom, Murielle est bel et bien son prénom. Et c’est encore l’histoire qu’elle invoque pour l’expliquer, ‘en 1880, les premiers indigènes à avoir la nationalité française sont les juifs, tout simplement car ils forment la plus petite communauté. Ainsi les juifs ont du intégrer la culture française jusqu’au prénom.’

Cécile parle d’un effet de miroir entre elle et Murielle, ‘paradoxal’ note-t-elle quand on sait que ‘sur le papier’ leurs deux cultures s’opposent, mais pour elle c’est également ça qui fait la beauté de leur relation. C’est aussi pour cela qu’elle tenait à inviter Murielle à intervenir, outre les connaissances cinématographiques qu’elle va leur apporter, il leur semble important de dialoguer devant, montrer que même si l’on vient de cultures différentes, de parcours différents, on peut échanger et même travailler ensemble à une œuvre commune.

Et c’est justement de ça dont il va s’agir, du travail commun sur l’adaptation à l’écran de Illettré entre Cécile Ladjali et Murielle Magellan, qui n’en sont pas à leur première collaboration, puisque cette dernière a déjà mis en scène certaines pièces de Cécile. Celle-ci sera un peu différente car c’est la première fois qu’un des romans de Cécile sera adapté à l’écran. Murielle explique qu’elle n’avait pas dans l’idée d’en faire un film quand elle a ouvert Illettré pour la première fois mais qu’elle avait senti à sa lecture que certaines de ses scènes étaient propres à la dramaturgie, ‘Cécile avait créé un monde très resserré, il y avait dedans beaucoup de matière scénaristique’. Mais c’est la rencontre de son désir d’en écrire la dramaturgie avec celui de son mari, réalisateur, de faire un film sur l’illettrisme qui a vraiment lancé le projet. Ensemble, ils l’ont proposé à France Télévisions, qui l’a accepté et mis en développement.
‘Et pourquoi pas au cinéma ?
— À la télé, il sera beaucoup plus vu. Selon moi, ça a plus de sens pour un film avec un tel message de pouvoir être vu par le plus grand nombre.’ explique simplement Murielle.
‘Et quelle est la place de l’auteure alors ?’ se demande Yasmine.
Il y a une clause dans le contrat qui me permet d’annuler tout si j’estime que le film trahit outrageusement mon œuvre. Mais on doit faire confiance. On sait que son texte va passer à travers le prisme du scénariste, du réalisateur, des acteurs… Mais c’est ça qui est beau aussi, qui est vivant.’
Mais au fond, à quoi ressemble un scénario ? Pour bien le comprendre, Murielle propose aux élèves d’en faire un sur la matinée en prenant Patrick, toujours volontaire, comme héros de l’intrigue et l’écrit au tableau. Quelles sont les erreurs à ne pas faire, que faut-il préciser, par quoi commence-t-on ? Autant de questions auxquelles les élèves répondent assez instinctivement au fil du scénario qu’ils créent.

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À la fin de l’exercice, Murielle se propose de répondre aux diverses questions des élèves. Et bien entendu, ils sont assez curieux de savoir quelles choses pourraient changer du livre à l’écran. La fin, par exemple, sera transformée de façon moins tragique, la relation que Léo a avec Sybille, sera plus explicite.  Murielle explique : ‘Quand on fait une adaptation, on est obligé de rendre visuel ce que les personnages pensent. Il faut expliciter les pensées de Léo, par exemple sur sa difficulté avec les filles, ça donnera lieu à un dialogue. Il faut soit des mots, soit des actions. On ne trahit pas le roman, mais on en tire les fils pour tisser la toile du film’. Et à Cécile de renchérir : ‘Même s’il est vrai qu’il est très difficile de représenter l’intériorité d’un personnage, au cinéma, il y a tout un tas de choses pour la faire transparaître : les acteurs qui vont incarner les personnages, ce que le réalisateur choisit de montrer ou pas, quelle lumière il va utiliser…
— De plus’, reprend Murielle, ‘je ne crois pas qu’il faille rechercher les mêmes émotions qu’à la lecture, car je ne crois pas qu’on puisse ressentir les mêmes choses. Le livre c’est toi qui fais les images. Le lecteur est co-créateur du livre, alors que le film vous prend plus en otage : voilà le monde que j’ai créé et c’est celui-là.’

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De cette discussion sur les différences entre les différents acteurs de la réalisation d’un film et les éléments pouvant structurer un roman dont elles dressent une liste avec les élèves, elles les introduisent au monde du cinéma et de l’image qui a son propre ‘jargon’, son ‘argot’, comme Murielle l’appelle.
Réalisateurs, scénaristes, producteurs, diffuseurs, techniciens, acteurs… Autant de gens que de temps et d’argent pour faire un film.
‘Le tournage commence en 2017 et le film sort en 2018 ?? Quoi ? Plus de dizaines de millions pour certains films ?!’
Mais Murielle les rassure en empruntant les bons mots de Jean Gabin : ‘Pour faire un bon film, il faut trois choses : 1° Une bonne histoire, 2° Une bonne histoire, 3° Une bonne histoire.’ et à ça d’ajouter en remerciant les élèves de leur bonne participation et de leur bonne écoute : ‘Le cinéma, c’est un langage parmi tant d’autres. Et comme la littérature, il pose un regard sur le monde.’