‘Certains y voient de la laideur, d’autres y trouvent de la beauté, Cécile de la poésie’ Marco Castilla

Lundi 7 novembre : Avec Cécile Ladjali, Marco Castilla, Pauline Élion, professeure de français, Amandine Biget, professeure documentaliste

En entrant dans la salle de classe et en découvrant une des photos de Marco Castilla projeté en plein écran, les élèves se rappellent soudain la venue le lundi de Cécile Ladjali, mais cette fois-ci le photographe est présent aussi ! C’est Pauline Élion, leur professeure de français qui leur annonce la nouvelle en leur présentant le programme de la matinée. Il va s’agir du lien entre la photo et la poésie, un lien précieux entre Cécile et Marco que les élèves ont déjà pu ressentir en passant devant les photos de Marco couplées des poèmes de Cécile, disséminés un peu partout dans le collège.
Les deux sont d’ailleurs en train de se faire tirer le portrait, alors c’est Pauline qui fait le point sur les connaissances qu’ils ont déjà de la poésie. Et les réponses pleuvent sur la professeure agréablement surprise d’un tel entrain.
‘Un poème ça peut s’écrire en vers ou en vers libres ! Les vers libres c’est quand il n’y a pas forcément de rimes à la fin du vers, qu’il n’est pas obligé d’avoir le même nombre de syllabes dans chaque vers…
—  Et qu’est-ce qu’une rime ?
— Une rime, c’est la répétition d’un son en fin de vers.’ répond tout juste Ilona.
‘Il y a les rimes riches !
— Les rimes croisées, les rimes plates…
— Oui très bien ! Alors les rimes croisées, qu’est-ce que c’est ?
— Il y a un vers avec une rime, celui d’après c’est pas la même, celui d’après c’est la même, et le dernier c’est la même que le deuxième !
— Et aussi les rimes embrassées… C’est quand le premier vers rime avec le dernier, et les deux du milieu ensemble.
— Exactement ! Et est-ce que quelqu’un peut me dire ce qu’est un vers ?
— C’est une ligne en poésie…
— Et quand ils sont regroupés, ça fait une strophe !
— Alors quels vers vous connaissez, vous ?
— L’alexandrin !’ La même réponse s’élève de tous les coins de la salle.
‘Oui, c’est le vers dit noble.
— Le décasyllabe, octosyllabe…
— Ça fait beaucoup de connaissances tout ça !’ s’enthousiasme Pauline. ‘Et est-ce que vous savez ce que c’est la poésie en prose ?’
Cette fois-ci pas de réponse. ‘C’est un poème en forme de texte. Mais alors comment reconnait-on que c’est un poème d’après vous ?
— Le rythme !
— Le style !
— Les images !
— C’est engagé !
— Pas nécessairement mais c’est vrai que nous allons étudier la poésie engagée cette année.
— Une morale ?’ tente un élève et c’est un autre qui lui répond : ‘Je crois que ça c’est plutôt dans les fables.
— En effet, c’est plutôt dans les fables. Mais en tout cas, vous avez en grande partie raison dans vos réponses, c’est beaucoup une question de vocabulaire, quels mots on va choisir pour…’

Cécile & marco
Voilà Marco et Cécile qui viennent d’entrer dans la classe.  Cette dernière leur explique que ce matin ‘c’est le propos du photographe’ qu’elle va leur faire entendre, avant de laisser la place à Marco pour qu’il présente la quinzaine de photos qui défilent au tableau.

MC_AHEAD
Sur la première photo, prise à la volée en Californie, très tôt le matin en voiture avec un ami, on lit inscrit sur le bitume de la route ‘AHEAD’ : ‘Droit devant en anglais, j’aimais ce que ça présageait’ nous dit-il simplement. Sur la seconde, une tour de Ben Arous une petite banlieue au sud de Tunis éclairée d’un lampadaire qui luit seul dans la nuit. Il y en a beaucoup dans ce petit panel qui sont faites de nuit, c’est que Marco aime se balader à ce moment-là quand il n’y a presque plus personne, quand résonne une sorte de silence sacré et que la noirceur de la nuit laisse place à la lueur des néons, la lumière qu’il préfère et là : ‘J’attends qu’il se passe quelque chose. Comme en peinture, j’essaye de mettre des points de couleur dans ce que je vois.’ Des paysages connus des élèves défilent, le marché de Saint-Ouen, une maison abandonnée à côté de la cité des 4000. Et puis ils découvrent d’autres horizons, un désert de sel en Argentine, une rue d’un vieux quartier de Shanghai. Ils voient les choses incongrues que Marco a pu saisir en un cliché, un rai de lumière traversant Rio de Janeiro, un groupement d’H.L.M. en pleine steppe mongole, un décor de cinéma italien des années 50 en Tunisie, Venise à Los Angeles…

MC_Saint-Denis

C’est un tour du monde en seize photographies. Et pour chacune d’entre elles, Marco nous en raconte l’anecdote, la technique, le désir spontané qu’il a eu de graver ces images sur papier. On retrouve beaucoup de paysages urbains, avec des immeubles en béton, il a pour cette matière une forme de fascination, son côté brut et massif : ‘Certains y trouvent de la laideur, d’autres y voient de la beauté, Cécile de la poésie.’

MC_Venice
À elle de lire les poèmes qu’elle a écrit pour accompagner ces paysages et les élèves choisissent celui sur Venice. ‘C’est de la poésie moderne, en vers libre…’ leur dit-elle en anticipant leur réaction face à un poème peu classique où on ne compte pas les pieds et où les rimes n’attendent pas le bout de la ligne pour résonner entre elles. Elle en lit un autre qu’elle a intitulé Malik et qu’elle a écrit en hommage à Marco. Le poème parle d’un jeune garçon qui dessinait des immenses tours rouges sur les tables du collège, et pour cause c’est sur ses bancs qu’ils se sont connus ! ‘Il s’est même fait virer pour ça !’ Pauline la professeure de français souffle en riant : ‘Il ne faudrait pas que ça leur donne des idées…’ Elle lit ensuite celui sur Ben Arous, puis celui sur le lac de sel où vit, de ce que Marco nous a raconté, un couple qui vit coupé du monde dans ce désert salé et froid comme la glace tant il est élevé dans les montagnes et qui vend des statuettes de sel.

MC_Désert de sel
‘Mais comment ils font pour vivre là-bas ?’
Marco fait plusieurs hypothèses mais n’en est pas tout à fait sûr à vrai dire, sans doute vivent-ils de troc avec d’autres gens habitant le coin, isolés comme eux.
‘C’est surtout qu’y a pas  d’ambiance quoi…’ dit un élève qui affiche déjà une mine blasée à l’idée de vivre dans un endroit pareil, et sur cette question on ne peut pas tellement lui donner tort !
C’est au tour des élèves d’imaginer quelques vers sur une des photos de leur choix. Comme d’habitude, car en effet ils sont maintenant bien familiers de ces ateliers d’écriture, certains courent déjà le papier de leur carnet et pour d’autres, c’est plus compliqué, ils disent qu’ils n’ont pas d’idées.
‘Vous n’avez pas besoin d’avoir des idées, vous avez l’image, vous pouvez écrire simplement ce que vous voyez. Vous n’avez pas besoin d’inventer, vous savez, les écrivains n’inventent rien…’ leur conseille Cécile qui veut toujours leur prouver que tout le monde peut écrire et créer. Alors les élèves se repenchent sur leur carnet crayon en main et décrivent ce qu’ils y voient. Très vite ce n’est plus juste une description, c’est leur vision, leur sensation, leur projection qui entrent en jeu. Pendant ce temps, Ilona présente timidement l’ébauche de son roman à Cécile pour qu’elle lui donne son avis, et cette dernière en est plus que ravie.

IMG_0883
Au bout d’une demi-heure, les élèves mettent en voix leur poème et les autres tentent de deviner de quelle photo il s’agit, et définitivement il y a en une qu’ils ont préféré surtout pour sa beauté : on voit le Soleil se coucher sur un célèbre pont de New York City, quelque part entre Brooklyn et Manhattan on a déchiré un grillage.

MC_Brooklyn Bridge